Mercredi 15 août 2018, 14h, jour de grande marée (coefficient 107) sur la plage des pêcheurs de Penestin en Bretagne.

Le soleil brille, et je me réjouis à l'idée d'aller me promener avec ma fille sur cette immense plage que Doisneau avait déjà photographiée, sur cette étendue de sable qui a rejoint l'ile d'en face grâce à la grande marée.

Nous sommes nombreux à profiter de ce spectacle mais pas pour les mêmes raisons. Certains pour la pêche en famille car la marée est basse, des touristes heureux de pouvoir ramasser des moules, des palourdes et autres coquillages, d'autres comme moi pour le plaisir de marcher, découvrir ce magnifique paysage et cette activité qui grouille.

Nous sommes à la pointe du Bile, nous marchons au milieu de cette immense allée de sable, de chaque côté les parcs de moules ou d'huitres.

Jeanne ma fille me demande comment  sont arrivées les moules sur les poteaux des parcs

Du coup je décide de m'approcher d'un parc privé et j'aperçois derrière un tracteur rouge trois hommes.  Je leur demande si je peux les interrompre dans leur travail deux minutes pour leur poser une question.

Un homme s'approche de moi et accepte de me répondre mais reste un peu méfiant et sur la défensive dans un premier temps.

Je ne dois pas être la première touriste qui le questionne.

Je comprends qu'en réalité à cet endroit il ne s'agit pas d'un parc de moules mais d'un parc à huitres.

Il s'agit d'un parc en friche, ils aident bénévolement le propriétaire du parc à ramasser les huîtres pour les ranger ensuite dans un autre parc.

Il me raconte alors que les naissains (bébés) viennent de Charentes maritimes mais sont élevés à Penestin.

Très vite il me parle de son agacement vis à vis des touristes qui ne sont pas toujours respectueux de leur travail et qu'ils se font régulièrement voler leurs huîtres.

Je comprends alors mieux sa réserve vis à vis de moi au début de notre discussion.

 

Mais petit à petit je sens qu'il est plus en confiance et qu'il me sourit. IL va même jusqu'à me raconter une anecdote sur une touriste qui lui a un jour montré ses seins. Nous rions.

Il me propose de me donner des huîtres mais je lui dis que je n'aime pas ça mais que par contre j'ai une envie soudaine et très forte de le photographier.

Il accepte , alors je retourne chercher mon appareil photo.

Puis je reviens vers les trois hommes et leur tracteur. Ils ont changé d'endroit. Une jeune femme s'est jointe à eux pour les aider.

Il me propose tout de suite de rentrer dans le parc. Je me sens honorée, j'ai soudain l'impression de ne plus faire partie des touristes et cela me réjouit. A cet instant je me sens presque Bretonne.

Il m'explique qu'avec leurs gants et couteaux, ils grattent pour enlever ce qu'il y a sur les coquilles des huîtres, pour les nettoyer, ils "trocquent" me dit-il.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je leur demande leurs prénoms, BERNARD, le premier à qui j'ai parlé au début, est né en 1940 et il habite Penestin, j'adore sa longue barbe blanche. Il me raconte qu'il était routier avant pendant 15ans.

J'aime qu'il se raconte cela m'aide à le photographier. C'est lui qui conduit le tracteur rouge.

Puis je fais la connaissance de Serge avec son teeshirt rouge, il ouvre une huître et me propose de la goûter, c'est très gentil mais je n'aime pas ça. Une numéro 1 me précise t-il.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Serge habite les Deux Sèvres et vient aider Bernard régulièrement aux grandes marées. Ils se sont rencontrées il y a quelques années.

Il y a aussi Michel au tee-shirt bleu, plus réservé, il aide aussi Bernard, il vient également des Deux Sèvres, c'est un voisin de Serge.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Karine la seule femme quant à elle, vient d'Ile de France et vient aider Bernard aussi pour le plaisir, elle est éducatrice pour enfants handicapés.

Karine goûte une huître et rit, je clique.

Mon regard se dirige vers le sol et je découvre dans l'eau qui commence à remonter une étoile de mer, les crabes aussi grouillent de partout.

Il est 15h l'eau commence à remonter, il faut faire  vite. Mettre les huîtres nettoyées dans les paniers puis dans le tracteur, des années 80 me précise Bernard !

Bernard m'explique en me montrant un naissain tout petit qu'il faut environ 3 années pour qu'elles deviennent grosses et belles et qu'elles puissent être mangées.

Celles là me dit-il elles seront prêtes pour Noël et nouvel an!

Serge me montre ensuite très fier une sorte de joli bouquet de naissains et m'invite à le prendre en photo.

L'eau continue de monter, il est temps de tout mettre dans le tracteur. Certains touristes sont encore très loin et risquent d'être piégés par la marée montante, cela arrive souvent me disent ils et encore pire l'hiver avec le brouillard.

Nous nous dirigeons à pied avec Serge et Michel vers un autre parc plus près de la côte, tandis que Bernard arrive en tracteur avec Karine accrochée sur le côté de l'appareil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Là ils vident les paniers dans des sacs en caoutchouc, des nasses, Bernard me précise qu'il faut faire très attention malgré les gants car c'est très coupant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ensuite les nasses sont posées sur des sortes de banc à plat et attachées avec des sortes de fils électriques.

Nous rigolons beaucoup. Ils se sont habitués à mon appareil photo et je crois même que Bernard  n'attend qu'une chose que je le prenne en photo, il pose !

Il semble vraiment heureux que je le photographie, et c'est un homme vraiment gentil, drôle et chaleureux que je découvre.

J'ai le sentiment que la confiance s'est installée, je me sens tellement bien avec eux je voudrais que le temps s'arrête. Je suis heureuse de vivre ça avec ma fille aussi présente depuis le début.

J'apprends beaucoup de choses sur ce monde que je ne connais absolument pas. Mais je ressens tellement d'authenticité dans ces personnes, cette activité et ce lieu que je me sens à ma place.

La marée monte il faut faire très vite "comme un cheval au galop" me dit Serge.

Les touristes rebroussent chemin, tandis que d'autres pas inquiets ne se rendent pas compte que l'eau est déjà bien montée.

Les trois hommes et Karine finissent rapidement dans la bonne humeur et la rigolade d'attacher les dernières nasses.

Pour fêter ça Bernard me réclame une photo et me dit : "une photo dans le tracteur" et ils s'assoient tous les quatre dans le godet devant le tracteur pour mon plus grand plaisir, je clique et reçoit leurs sourires en plein coeur.

Bernard referme le parc avec une corde et me dit qu'on se rejoint "sur le sec".

Arrivés sur la terre ferme je prends leurs coordonnées afin de leur envoyer les photos et leur offrir et ils me disent qu'ils sont d'accord pour que je les publie éventuellement.

Bernard m'invite à boire gentiment un café chez lui, cela me touche beaucoup mais je dois rejoindre ma famille.

J'aurais voulu prolonger ce moment que j'ai trouvé tellement magique, improbable. On ne se connaissait pas il ya quelques heures et maintenant j'ai le sentiment que ma rencontre avec Bernard restera gravée à jamais dans mon coeur je ne l'explique pas, je le ressens c'est tout.

Cette rencontre inattendue a été si belle si authentique, je suis heureuse d'avoir capté en photos ces instants partagés.

Merci à vous quatre pour votre gentillesse et confiance, merci à toi Bernard pour cette humanité ,sincérité et malice aussi que j'ai vue dans ton regard.

Un souvenir inoubliable.

En partant Serge me dit "cette fois ce n'est pas une mariée que vous avez photographiée mais la marée et quelle marée!

De retour chez moi je me suis empressée de regarder les photos et d'en commander pour Bernard qui m'a tout de suite appelé quand il a reçu le colis de photos. J'ai adoré entendre à nouveau sa voix, j'ai l'impression d'avoir un peu de cette Bretagne que j'aime tant avec moi au bout du fil. Ses remerciements m'ont touchés.

Cet homme à la barbe blanche et d'une soixantaine d'années a désormais une place dans mon coeur et cela ne s'explique pas c'est comme ça

 

12 septembre 2018: J'ai adoré entendre sa voix à nouveau au téléphone et qu'il me dise:

" Alexandra, bonjour c'est Bernard la Bretagne, oh c'est dommage que t'es pas venue à la marée ce matin, il faisait un soleil vraiment agréable pas froid rien du tout, on était en trainde regarder avec Serge les photos vraiment elles sont très belles"

Si tu savais Bernard comme j'aurais aimé être avec vous hier à la grande marée, en écoutant ton message ce sont mes larmes qui ont coulé et ça non plus je ne l'explique pas.

Merci !